Stimulation Basale - présentation

Publié par SNOEZELEN info - Gérard DELEPINE

LA STIMULATION BASALE

Avancer ensemble dans la réalité sensorielle du monde
ANDREAS FRÖHLICH

Pour qui la stimulation basale a-t-elle été conçue?

Initialement, cette approche a été développée exclusivement à l'intention des enfants polyhandicapés profonds, pour la plupart gravement déficitaires dans de nombreux domaines du développement à la suite de lésions cérébrales remontant à la prime enfance. Depuis lors, la stimulation basale a également trouvé des applications dans d'autres domaines, notamment les soins infirmiers. Ici toutefois, il sera uniquement question de la population à laquelle la stimulation basale s'adressait à l'origine, à savoir les enfants et les adolescents qui, pour la plupart dès leur naissance, ont eu à souffrir d'importants déficits du développement. Certaines altérations organiques, les malformations, les infections, les difficultés au cours de la grossesse ou à la naissance peuvent être les causes de handicaps graves. Les maladies infectieuses et les accidents font partie des causes possibles remontant à la prime enfance. Un point commun à ces enfants, c'est qu'ils sont presque tous confrontés à des limitations dans tous les domaines du développement. Ces atteintes concernent en particulier leurs capacités de mouvement, de perception et d'apprentissage linguistique, ainsi que les aptitudes cognitives et relationnelles. De notre point de vue, le vécu corporel et parfois aussi la différenciation des émotions sont également concernés de manière tout à fait essentielle.
Une telle description semble mettre l'accent sur les déficiences et réduire ces enfants à leurs limitations, en ne respectant pas leur potentiel. Ce serait là une manière regrettable de voir les choses, qui irait à l'encontre des intentions de cet article. Il n'empêche que ces enfants nous frappent d'abord par la gravité et la multiplicité de leurs handicaps de développement. Dans ce qui suit, nous tenterons de mettre en évidence des possibilités de développement et de présenter des moyens de soutien et d'accompagnement.
Il faut dire que ces enfants sont par ailleurs capables de beaucoup de choses:

  • Dans la proximité physique, ils peuvent entretenir une communication «basale» avec d'autres êtres humains.
  • Dans la proximité physique, ils peuvent vivre des expériences en contact direct avec leur environnement.
  • Ils montrent leur volonté et leur capacité de vivre et sont la plupart du temps heureux, tout en étant parfois malheureux


Cela pour montrer, fondamentalement, que les points que nous avons en commun avec ces enfants sont plus nombreux que ceux qui nous en séparent.
Il est évident qu'un handicap grave implique une grande dépendance et un besoin d'assistance important. De nombreuses activités quotidiennes - et parfois l'ensemble de ces activités - doivent être prises en charge par les parents ou le personnel d'accompagnement. Le transport est assuré par des tiers et souvent, la prise de nourriture et l'absorption de liquides nécessitent de grands efforts et parfois même une intervention médicale.

Ces enfants vivent - c'est là le fait essentiel pou en tirer certaines conséquences importantes du point de vue thérapeutique et pédagogique; en général, les parents comprennent cela intuitivement, sans que d'autres justifications soient nécessaires.

L'approche de la stimulation basale

La stimulation basale ne veut être ni une méthode, ni une technique. Il s'agit d'un concept qui a subi certaines modifications au cours des vingt dernières années et qui, à l'avenir également, ne manquera pas de s'adapter aux progrès des connaissances et aux nouveaux besoins. Quelques idées fondamentales sont déterminantes quant à la manière de procéder dans le cadre de cette approche, qui ne constitue pas un système fermé. De ce fait, il sera toujours important d'y intégrer partiellement d'autres approches et d'y apporter des compléments utiles. La réflexion est centrée sur le modèle de la «globalité». Par globalité on entend qu'une seule et même personne est impliquée simultanément dans une grande variété de processus vitaux, d'expériences, de sensations, de perceptions, de pensées, de mouvements et de communications.
Cette vision globale vaut également pour les parents, les enseignants et les thérapeutes qui, eux non plus, ne sauraient se « découper » en fonctions isolées. Chaque intervention thérapeutique est en même temps acte de communication, qui transmet toujours quelque chose de la personne elle-même. C'est en ce sens que la stimulation basale n'a cessé de s'affirmer comme une idée fondamentale dans le domaine des relations interpersonnelles. Partant de l'enfant ou de l'adolescent concerné, nous essayons de créer une proximité qui permette d'entrer en relation réciproque. Lorsqu'une base relationnelle commune a été trouvée, la réflexion sur les encouragements à donner et le développement peut prendre sens. Nous essayons, par l'intermédiaire du corps, d'initier une communication globale d'expériences et d'impressions. Il s'agit toujours d'un développement individuel, qui n'est pas donné à l'avance, qui ne se réfère pas à des stades de développement liés à l'âge ou à d'autres normes prescrites. La transmission qui s'effectue par le corps est globale de part et d'autre. L'éducateur, le thérapeute, le maître d'école, le père ou toute autre personne s'occupant de l'enfant polyhandicapé est impliquée au niveau de son propre corps. Cette corporalité représente la base de départ commune. C'est de là que provient la composante «basale». Nous voulons partir de cette base, sans formuler d'autres conditions que l'enfant devrait remplir avant de pouvoir bénéficier d'un soutien.
Le corps constitue la forme par laquelle nous existons au monde. C'est grâce aux mouvements du corps que nous sommes en mesure d'organiser notre perception du monde, insérée dans les rapports de communication avec les autres êtres humains. Perception, mouvement et communication constituent les éléments essentiels du développement humain.
Il apparaît tout d'abord que les enfants handicapés profonds sont d'abord diminués dans leurs capacités motrices. Cette diminution d'une possibilité de développement a pour conséquence qu'en partant à la conquête du monde, ils ne peuvent utiliser leurs perceptions que de manière insuffisante, obligés qu'ils sont de se restreindre à un nombre limité de domaines, parfois même à certaines parties de leur propre corps. C'est là que nous essayons d'intervenir, pour les aider à se découvrir et à découvrir le monde par la mise à disposition de nos propres capacités motrices.

Le développement individuel

Chaque enfant est différent et le patrimoine génétique qu'il a reçu de ses parents le distingue de tous les autres enfants. Mais il se différencie également par son destin personnel, par l'histoire de sa maladie et de son handicap. Il n'est donc pas très utile de soumettre les enfants handicapés profonds à une évaluation statistique précise et de se laisser guider, pour la stimulation, par des tabelles et des échelles. Bien sûr, le développement dit normal demeure toujours une sorte de fil conducteur, mais les écarts individuels, les chemins personnels qu'un enfant suit ou est obligé de suivre ne doivent pas pour autant être «rectifiés» prématurément. Vivre avec un handicap profond est pour l'enfant une tâche considérable dont il ne viendra à bout qu'au prix de sacrifices incessants et avec les soutiens les plus divers et les plus affectueux de sa famille et des professionnels qui l'entourent. L'une des missions essentielles des pédagogues et des thérapeutes consiste à aider l'enfant à trouver le chemin de son développement personnel, sans renier son identité ni renoncer à sa personnalité.

Ne pas former les êtres « à notre image »

Le travail avec les enfants handicapés profonds nous a appris quelque chose d'important. Nous autres pédagogues et thérapeutes, de même que les parents, nous ne pouvons pas «fabriquer» un enfant. De nos jours, nous partons de l'idée qu'un être humain doit lui-même donner forme à son développement. L'éducation, la thérapie, la stimulation, l'exercice et l'entraînement ne sont que des propositions faites à l'individu, dont il peut se servir et qu'il peut intégrer dans son propre développement. Nous ne saurions former les êtres «à notre image». Ce sont précisément les enfants handicapés profonds qui nous montrent souvent qu'ils refusent nos propositions. Ils ferment les yeux, s'endorment et semblent nous ignorer totalement. Si nous ne pouvons pas les atteindre, nous ne pouvons pas avoir le moindre impact sur eux. Cela signifie que nous devons nous adapter entièrement à leur niveau, à leur degré de vérité et à leurs intérêts. Nous ne pouvons pas, comme cela se fait souvent en pédagogie classique, modifier l'attitude de l'enfant avec des compliments et des réprimandes et en faisant des promesses et des allusions se référant au futur. Non, ces enfants nous montrent clairement nos limites en tant qu'éducateurs et, par là, nous mettent au défi de prendre vraiment au sérieux l'intérêt que nous manifestons à leur égard.

Une pédagogie spécialisée

Que conclure de ces brèves réflexions? On pourrait plaider en faveur d'une pédagogie spécialisée, créant les conditions pour qu'un enfant trouve ici et maintenant une situation qui lui permette, grâce à ses capacités, de s'épanouir et de continuer à se développer. À cet effet, il est bien sûr toujours nécessaire de lui fournir des possibilités de perception appropriées et de soutenir sa capacité de mouvement, et cela ne peut se faire qu'au moyen d'une communication attentive et pleine d'empathie. Une pédagogie spécialisée qui va dans ce sens est parfaitement en mesure d'alléger et d'améliorer des conditions de vie difficiles et défavorables. Ainsi, les enfants pourront découvrir qu'il vaut la peine de vivre, qu'il y a de l'intérêt à entrer en contact avec d'autres personnes et que le monde qui les entoure est rempli de nouveautés stimulantes.

Développement basal ­ expérience basale

Nous avons considéré comme très important d'intégrer à l'approche de la stimulation basale les connaissances de la psychologie prénatale. Au cours des dernières années, voire des dernières décennies déjà, une documentation toujours plus riche a été rassemblée, attestant que, dès avant la naissance, l'enfant est doté d'une perception très intense, d'une mobilité active, et qu'il a des échanges directs avec sa mère. Chaque nouveau-né a fait ces expériences, même si nombre d'enfants handicapés profonds ont vécu des situations de crise déjà avant la naissance. (Nous ne pouvons donc pas partir de l'hypothèse que la vie prénatale soit exclusivement une période paisible, voire paradisiaque.) De par notre constitution, nous sommes dotés, au cours de notre développement prénatal, de certaines compétences fondamentales qui nous permettent de trouver des repères dans ce premier environnement qu'est l'utérus.
Nous avons quelque peu insisté sur la capacité que possède l'enfant à percevoir avec la globalité de son corps, sur sa capacité de se mouvoir, d'utiliser sa peau pour sentir et, à l'aide de ses mains, de ses pieds et surtout de sa bouche, de rassembler ses premières expériences. Parallèlement, à un stade précoce de la grossesse, l'enfant possède déjà la capacité d'enregistrer les vibrations et d'y réagir, ce qui joue un rôle important. Ces vibrations sont provoquées par la voix de la mère, sa respiration, les battements de son cur et les bruits provenant de la circulation sanguine et, de plus, par tous les bruits et toutes les voix qui pénètrent du dehors. L'enfant est aussi exposé en permanence à la pesanteur, aux mouvements et aux changements de posture de la mère, ce que nous qualifions de «stimulation vestibulaire».
Dans le cadre de la stimulation basale, nous essayons de renouer avec ces expériences précoces de la vie pour trouver ainsi une possibilité d'entrer en contact avec l'enfant, à un niveau qui, bien avant la naissance, était significatif pour lui. En effet, de nombreux enfants profondément handicapés ont de grandes difficultés à faire face aux conditions modifiées du monde à l'extérieur du corps de la mère; ils emploient souvent toute leur énergie à rester simplement en vie. La pédagogie spécialisée doit ici soutenir leurs forces.

Les principaux domaines de la stimulation basale

Stimulation somatique

Le corps entier, et en particulier la peau qui est notre plus grand organe, nous délimite du monde extérieur mais représente aussi la surface de contact avec le monde extérieur. L'image que nous nous formons de notre corps correspond aux expériences que nous avons vécues grâce à notre peau et à nos muscles. Une immobilité prolongée, une forte spasticité ainsi qu'un très faible tonus musculaire modifient considérablement l'image que nous avons de notre corps. On peut supposer que cette image corporelle comporte également des foyers négatifs, situés aux endroits où l'on ressent sans cesse des douleurs, où l'on nous administre des soins désagréables et où nous subissons des interventions thérapeutiques. Au moyen d'une stimulation somatique, c'est-à-dire portant sur l'ensemble du corps cutané et musculaire, il s'agit de vivre une expérience positive avec son propre corps, avec sa propre individualité, au niveau des frontières et des points de contact avec le monde.

La stimulation somatique tente, en partant du milieu du corps, de «modeler» le tronc en tant que centre du corps. Plus tard, les bras et les jambes s'y joindront, jusqu'à ce que finalement la stimulation se termine aux mains et aux pieds. Beaucoup de handicapés profonds ont de grandes difficultés à comprendre le simple toucher par la main comme un contact dont la signification est considérable. Pour eux, la stimulation doit s'effectuer d'une manière plus intense. Nous recourons alors à des moyens complémentaires: quelques morceaux d'étoffe différentes, peut-être un gant de fourrure, peuvent aider à faire sentir plus clairement le toucher. Nous avons constaté que la matière (étoffe ou fourrure) intensifie la manière de sentir son propre corps, alors que le contact avec la «peau nue» met beaucoup plus l'accent sur l'aspect communicatif. Chaque toucher doit être suffisamment ferme, il ne doit pas être trop léger, trop furtif ou trop bref. Le toucher sera fluide et constant, si possible sans interruption, et une main gardera toujours le contact avec le corps. Les interruptions provoquent de l'irritation et ne permettent pas de vivre le corps d'une manière harmonieuse. Ce que les personnes profondément handicapées ne peuvent élaborer elles-mêmes à cause de la limitation de leur activité propre - à savoir une image corporelle différenciée - doit être compensé par ces stimulations. Lorsque l'image élémentaire du corps est déjà labile, nous devons tenir compte du fait que les mouvements qui seraient peut-être possibles ne seront pas exécutés, étant donné que cette personne n'a au fond guère pris «possession» de son corps. Le toucher de la peau, le toucher du corps entier ont également un effet stimulant et stabilisateur sur les émotions.

Stimulation vibratoire

Les stimulations vibratoires sont utiles pour atteindre également l'intérieur du corps humain (os, articulations). Normalement, les expériences vibratoires sont réalisées et intégrées lorsqu'on se lève et que l'on marche. Le petit enfant rampe, marche à quatre pattes, sautille, court, bondit et de cette manière, il fait l'expérience toujours renouvelée de la résistance que le sol offre à son corps, par des vibrations, par des mises en charge qui se modifient. Le handicap grave interdit en général de telles expériences, la monotonie de la position assise et couchée entraîne une accoutumance (ne plus pouvoir percevoir, prendre conscience). Par les vibrations manuelles - une technique utilisée par de nombreux physiothérapeutes -, il est possible de faire ressentir des vibrations dans tous le corps à partir des extrémités des jambes et des bras. Nous constatons alors, que de nombreuses personnes commencent à « écouter à l'intérieur », ils ressentent quelque chose de tout nouveau dans leur corps. Manifestement, le fait de ressentir ces vibrations donne une indication sur les relations entre les différentes parties du corps, sur son unité. On observe que cela entraîne une détente profonde, tout en produisant un éveil de l'attention. Il ne faut en aucun cas exercer les vibrations sur la musculature, car il faut tenir compte des modifications négatives difficilement contrôlables du tonus musculaire. Les vibrations peuvent aussi s'exercer avec prudence au niveau du tronc et de la tête et représenter alors une transition entre la perception (prise de conscience) des vibrations et la prise de conscience des sons (perceptions auditives).

Stimulation vestibulaire

Notre système vestibulaire nous renseigne sur la position que nous occupons dans l'espace, sur les accélérations, les rotations, les montées et les descentes; il nous permet de garder notre équilibre, et surtout, il coordonne également notre vision. Là aussi, les personnes profondément handicapées sont très fortement défavorisées, car elles ne sont pas capables de se lever activement, de conquérir l'espace en rampant, en allant à quatre pattes ou en marchant.
Nous partons de l'idée que de telles expériences liées à la force de gravitation et à la position dans l'espace font partie des besoins fondamentaux pour le développement de l'être humain. Manifestement, les stimulations vestibulaires modérées, comme par exemple un léger balancement, sont utiles pour stabiliser la posture et régulariser le tonus musculaire. Nous avons souvent constaté que, ce faisant, un bien-être intense apparaissait chez les personnes profondément handicapées, se traduisant par un sourire détendu, tel qu'on en voyait rarement sur leur visage. L'une des expériences positives les plus élémentaires qu'on peut proposer consiste à étendre quelqu'un longitudinalement sur un rouleau de gymnastique suffisamment large pour que les jambes puissent rester écartées à gauche et à droite. Des mouvements de balancement très doux et prudents produisent un effet de bercement extraordinairement positif. Les hamacs, les grandes balançoires peuvent également constituer un apport précieux si l'on en fait un usage judicieux.

Résumé

À partir de ces trois domaines fondamentaux, il est possible d'accéder à d'autres domaines liés à la perception et au développement: l'ouïe, le goût, l'odorat, le toucher et bien sûr la vue. Nous devons accompagner l'enfant dans son développement, nous ne pouvons pas le contraindre à faire des pas qui l'éloigneraient de lui-même.

La simulation basale en tant qu'expérience quotidienne

Pendant longtemps, nous avons pratiqué la stimulation basale à la manière d'une thérapie très spécialisée ou d'un programme pédagogique de stimulation. Les enfants étaient sortis de leur contexte quotidien, amenés par exemple dans un local spécialement aménagé à cet effet pour y recevoir un programme de stimulations soigneusement planifié. Toutefois, une vision globale de l'enfant remet en question une telle procédure qui opère une rupture dans ses relations habituelles et, surtout, offre peu de possibilités à l'enfant d'intégrer dans son quotidien les expériences de stimulation peut-être valables et intéressantes. Cette expérience lui restera finalement étrangère. C'est pourquoi nous devons nous efforcer d'organiser le programme de stimulation de manière à ce qu'il s'insère dans la vie quotidienne de l'enfant. La stimulation basale pourrait alors être décrite comme « la systématisation de ce qui va de soi et de ce qui est naturel». C'est ce que nous aimerions montrer à l'aide des deux exemples suivants.
Mettons-nous dans la situation de l'enfant:
Voilà que je me trouve au bord de cette grande baignoire; un puissant jet et d'eau chaude sort du robinet. Avec beaucoup de précaution ­ mon papa me donne un coup de main ­, je mets un doigt après l'autre sous le jet et je remarque comment l'eau presse ma main vers le bas, comment ça gicle un peu. Papa trouve que je ne dois pas tenir toute la surface de la main sous le jet, ça giclerait terriblement. Nous avons giclé un peu de liquide vert d'un gros flacon dans la baignoire. Une odeur commence à se répandre et l'eau change complètement. Il y a de la mousse qui gonfle lentement, qui monte, et plus il y a d'eau qui coule dans la baignoire, plus la mousse devient épaisse. Déjà, je ne vois plus l'eau. Ça sent délicieusement bon et dans la salle de bain il fait bon chaud. Ensuite nous nous y mettons à deux pour fermer le robinet. Puis, pendant un moment, c'est le grand silence, avant ça faisait beaucoup de bruit. Mais, maintenant j'entends un léger bruissement. Papa me dit que c'est la mousse. Si je regarde bien, je remarque même que ça bouge. Papa me prend, me soulève en me tenant au-dessus de la baignoire, puis me descend lentement, très lentement. Mes pieds touchent la mousse, ça chatouille terriblement ­ mais on ne peut pas se tenir dessus. Papa me laisse descendre encore et voilà que je m'aperçois comment en bas, vers mes pieds, ça devient encore beaucoup plus chaud. Et là, je me tiens debout dans la baignoire. Mes pieds se trouvent au fond, mes jambes dans l'eau chaude et mon derrière dans la mousse qui fait des petits bruits. Je m'assieds et la mousse m'arrive jusqu'à la nuque. Je ne vois plus mon corps. J'ai entièrement disparu. C'est étrange. Ça fait un peu peur ­ en fait, suis-je bien là encore? Mais les mains de papa me tiennent et je les sens sur mon ventre et mon dos. Quand je lève les bras et que je veux regarder mes mains, elles sont toutes blanches et de petites montagnes de mousse leur collent encore dessus. Mais la mousse part très facilement, il n'y a qu'à se secouer un petit peu ou à passer la main dessus. Papa me passe la lavette, je la laisse tomber ­ la voilà disparue, je ne la vois plus, elle se trouve quelque part sous la mousse. Maintenant nous nous mettons à sa recherche
Nous pouvons certainement nous rappeler ces jeux dans le bain, nous nous souvenons de notre propre enfance et les idées ne manquent pas pour nous suggérer tout ce que l'on peut encore faire en prenant un bain. Ce qui, pour nous autres adultes, est une activité quotidienne utile, et le cas échéant agréable ou stimulante peut devenir une petite aventure pour l'enfant. Avec papa ou maman, on fait des découvertes formidables, on regarde, on sent, on renifle, on explore et on s'étonne. Les enfants ont besoin de ce genre de situations qui leur permettent de se confronter plus intensément, plus librement et plus ouvertement aux choses qui les entourent.
On peut aussi songer aux promenades du week-end ­ à quoi ressemblerait une promenade «basale»?
Je sais déjà comment se passe l'habillage, après ils me portent en bas l'escalier et m'installent dans la poussette. Dans un grand vacarme, voilà Jonas et Annika qui courent en bas des escaliers, ils font toujours du tapage, ce qui me permet de les reconnaître sans peine. Au moment de sortir par la porte, les rayons du soleil m'éblouissent parfois terriblement et je préfère fermer les yeux. Je remarque que nous ne tardons pas à passer à l'endroit où il y a ce crépitement sous les roues, je sais maintenant où on va. Quand ça ne crépite pas, il y a beaucoup de possibilités, mais le week-end ça crépite en général et nous allons au parc. Parfois les deux se trouvent tout près de moi, me tirent sur les mains, me touchent au visage, me disent quelque chose. Puis ils sont de nouveau partis sans que je sache où. Mais ils reviennent. Papa et maman marchent derrière moi, et parfois ils se parlent. Je les sens qui bougent quand ils poussent ma poussette. Ils sont tout simplement là. J'aimerais bien que cette promenade m'apporte aussi quelque chose, pas seulement de l'air frais et du soleil dans les yeux. Ils pourraient quand même prendre un autre chemin depuis le chemin qui crépite. Une fois, on s'est trouvé sur un chemin où ça vacillait et sautait terriblement, ça m'a bien plu, avec ma voix, j'ai chanté plein de chansons pendant ce temps. J'aimerais y retourner. Et puis, il y a eu un autre endroit où on a roulé et marché, les pas et les roues y faisaient un bruit étrange. Nous nous sommes alors arrêtés et j'ai entendu un bruissement. Mais je ne sais pas ce que c'était. Et ensuite, plus loin dans le parc, je vois bouger des points blancs sur une surface scintillante. Par moments, ils se rapprochent pour devenir plus grands et Jonas et Annika s'éloignent en bondissant. D'après ce qu'ils disent, ils donnent quelque chose à manger à ces points blancs. Il arrive à ces points de faire un boucan du diable, comme Jonas et Annika parfois. Peut-être notre enfant aimerait-il sentir quelque chose de ces arbres. Peut-être est-ce intéressant de passer à l'ombre des feuillages et, ce faisant, de l'aider à lever les yeux, à voir comment la lumière du soleil tremblote dans les feuilles. Il est possible qu'il soit plus intéressant, pour cet enfant, de palper l'écorce avec ses mains que l'on guide, de sentir quelque chose de la résistance, de la solidité de l'arbre. Cela serait bien si on pouvait amener un morceau de cet arbre en souvenir pour l'enfant, pour nous permettre de reparler de cette promenade et de nos souvenirs communs. Comme nous l'avons déjà signalé, ces éléments sont importants pour les enfants ayant un handicap profond. Il est important qu'ils puissent retrouver des traces auxquelles ils puissent se référer, et qu'un rythme et des répétitions régulières leur permettent de se repérer plus facilement. Il leur faut vivre, expérimenter, humer, sentir, voir, entendre et remarquer, sur le vif, pour que toutes ces expériences deviennent partie intégrante de leur quotidien. Tout ce qui est occasionnel, fugitif et unique peut provoquer chez eux de la confusion et de la désorientation. Toutefois, dès lors qu'on leur propose de vivre certaines expériences quotidiennes de manière structurée, simple et récurrente, un monde s'ouvre à eux, un monde qui n'a plus rien de déconcertant ni d'angoissant, un monde peut être intéressant et inspirer confiance.
Évidemment, tout cela ne doit pas être excessif, la promenade «basale» est vraiment toute simple, et même trop modeste pour certains. Nous nous apercevrons cependant que de nombreux détails peuvent receler des aspects intéressants. La rue est peut-être bordée d'une clôture le long de laquelle on peut passer. On peut alors aider l'enfant à tenir un petit bâton dans la main et laisser la progression le long de cette clôture s'accompagner d'un tapotement dont découle une sensation dans la main et le bras qui crée une séquence rythmique.
Le travail du pédagogue spécialisé devient une sorte de travail de traduction. Nous observons ce que les enfants se procurent comme informations, stimulations et expériences pour leur développement. Ensuite nous essayons d'adapter cela à la situation de l'enfant gravement handicapé dont nous nous occupons. Il est souvent nécessaire de simplifier, et il faut toujours intensifier par des répétitions qui donnent une sécurité à l'enfant. Nous pouvons être certains que même des enfants ayant un handicap profond nous signaleront quand l'exercice devient ennuyeux. Nous chercherons alors ensemble quelque chose de nouveau.

Des malentendus?

La stimulation basale ne veut pas être une thérapie, mais une approche pédagogique. La stimulation basale n'est pas un programme d'entraînement qui stimule les enfants au moyen de brosses, de frottements et de gribouillages. Elle n'est pas un programme d'approvisionnement en stimuli. Comme l'exprime le terme de stimulation basale, c'est une incitation, une invite à s'occuper, à partir d'une base commune, des autres personnes, des choses et de soi-même, et d'apporter dans ce processus une activité individuelle - une contribution individuelle -, aussi modeste soit-elle.
Naturellement, il peut être extrêmement utile de posséder de nombreuses connaissances en psychologie du développement et de savoir quelles sont les erreurs fondamentales à éviter dans ce travail. Pour cela, un matériel important a été développé au cours des dernières années. Ce matériel peut être mis à disposition des pédagogues, des thérapeutes et aussi des parents. Il n'est pas possible de rendre compte de ces aspects dans le cadre restreint de cet article; nous renvoyons aux références bibliographiques qui s'y rapportent.

Lausanne / Chavornay, le 6.12.01


Traduction de l'allemand par Frédéric Wieder, Jacques Rossier et Thérèse Musitelli

Publié dans stimulation basale

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